Pierre de Ronsard é

Ode à sa maistresse

Quand au temple nous serons
Agenouillés, nous ferons
Les devots selon la guise
De ceus qui pour loüer Dieu,
Humbles se courbent au lieu
Le plus secret de l'eglise.
Mais quand au lit nous serons
Entrelassés, nous ferons
Les lascifs, selon les guises
Des amans, qui librement
Pratiquent folatrement
Dans les dras cent mignardises.
Pourquoi donque, quand je veus
Ou mordre tes beaus cheveus,
Ou baiser ta bouche aimée,
Ou tatonner ton beau sein,
Contrefais-tu la nonnain
Dedans un cloistre enfermée?
Pour qui gardes-tu tes yeus,
Et ton sein delicieus,
Ta joüe & ta bouche belle?
En veus-tu baiser Pluton
La-bas, apres que Caron
T'aura mise en sa nacelle?
Apres ton dernier trespas
Gresle, tu n'auras là bas
Qu'une bouchette blesmie:
Et quand mort je te verrois
Aus ombres je n'avuorois
Que jadis tu fus m'amie.
Ton test n'aura plus de peau,
Et ton visage si beau
N'aura venes ny arteres,
Tu n'auras plus que les dens,
Telles qu'on les voit dedans
Les testes des cimeteres.
Donque, tandis que tu vis,
Change, maistresse, d'avis,
Et ne m'espargne ta bouche:
Incontinent tu mourras,
Lors tu te repentiras
De m'avoir esté farouche.
Ah je meurs, ah baise moi,
Ah maistresse approche toi,
Tu fuis come fan qui tremble,
Au moins soufre que ma main
S'esbate un peu dans ton sein,
Ou plus bas si bon te semble.


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